Peux tu nous parler de ta découverte de la musique et de ton apprentissage musicale ?
J’ai découvert la musique très tôt, mes parents n’étaient pas musiciens mais ils écoutaient beaucoup de musique.
J’ai commencé la guitare à l’âge de douze ans grâce à un ami de la famille qui m’a appris les accords. Nous avions commencé par les accords majeurs après quoi il m’a fallu courir tous les cafés de mon village (Hussigny-Godbrange dans la région de Longwy) pour le trouver afin qu’il m’apprenne les accords mineurs ! Je voulais apprendre à faire du « Jimi Hendrix » mais il m’a tout de suite parlé de Django Reinhardt, Joe Pass…
Ce qu’il m’a appris, sans le savoir, c’est à apprendre. Cet ami ne savait pas lire la musique. Lui même avait appris en écoutant les disques et avec les gens du village… du coup pour moi ; il n’y avait pas d’autre manière d’apprendre autrement qu’en écoutant et copiant les disques.
Vers 17 ans j’ai décidé d’arrêter mes études. Le père de mon meilleur ami d’alors qui se trouvait dans la même situation a décidé de nous apprendre le métier de musicien de bal. Il était accordéoniste et tous les samedis nous allions apprendre les différentes danses du répertoire… les pasodobles, les cha-cha-cha, les rumba, les valses… Dans l’accompagnement il souhaitait que je fasse ce qu’il appelait la « locomotive » de Django.
C’est de là que vient ta passion pour la valse ?
Le pays de Longwy est une région de mineurs qui à connu une grosse vague d’immigration d’Italiens vers les années 60. Il y avait de ce fait beaucoup d’accordéonistes et guitaristes qui perduraient la tradition du bal musette.
Quand j’ai commencé a travailler professionnellement dans les bals, la « minute de gloire » du guitariste était toujours une valse : reine de musette de Jean Peyronnin. ( Augusti mala). La valse à la guitare est un exercice technique assez difficile qui demande beaucoup d’élégance. C’est affirmé, viril, mais en même temps c’est très léger et délicat ! C’est un art difficile, certes technique, mais l’importance réside dans le fait qu’il faut que cela danse ! La valse a toujours eu une grande importance dans la musique chez nous, cela tient presque du sacré !
Donc tu as conçu un disque de musique traditionnel ?
Oui. C’est comme çà que je l’ai conçu.
A mon sens la valse est la dernière musique traditionnelle en France. Je dis dernière parce qu’elle est la plus jouée parmi les musiques traditionnelles et que si vous demandez à un étranger d’un pays lointain ce qu’est la musique traditionnelle Française il vous mimera probablement un accordéoniste en sifflotant une Java.
La musette est une synthèse de quatre influences culturelles : Italienne, Gitane, Américaine et Française qui se sont côtoyées à Paris après la première guerre mondiale.
Elle représente une musique « écrite » et l’histoire d’un pays qui à traversé les décennies et qui reste typiquement d’ici ! C’est « écrit » dans le sens ou c’est composé ou prévu à l’avance !
Dans le livret qui accompagne ton cd tu nous dis que ce sont tes compositions qui représentent ta part créative et que tes solos sont plutôt des paraphrases. Cela veut il dire que tu as écrit tes solos ?
Les interventions sont élaborées comme une forme d’arrangement et sont écrites.
La valse comporte un vocabulaire qui lui est propre. Un vocabulaire Jazz irait mais ne serait pas vraiment opportun. J’ai donc pris le temps d’écrire des paraphrases qui soient en lien avec les mélodies. Si tu joues "Balajo", "Le retour des Hirondelles" ou "Patricia"… elles parlent toutes des langues, certes communes, mais différentes. Le vocabulaire de la vieille musette est différent de celui de Jo Privat.
Peux tu nous définir les qualités que requièrent les valses chez un guitariste accompagnateur ?
Avant tout je pense qu’il faut connaître les morceaux par cœur. C’est fondamental ! Tant qu’on à le nez sur une partition on n’a pas la tête dans la musique. C’est une règle générale mais qui à toute son importance dans l’exécution d’une valse.
Ensuite, il ne faut essayer de ne pas trop en faire. Les accompagnateurs veulent souvent faire des basses. C’est très bien si elles sont préparées. Elles doivent avoir toutes les qualités d’un arrangement ou d’un contrepoint. On ne doit pas faire passer les derniers licks qu’on à appris !
Souvent, quand on fait référence aux grands et ce qui marche le mieux après en avoir fait l’expérience c’est que la guitare qui fait des basses se marie bien avec une autre qui fait des accords les plus simples et les plus droits possibles. Elle s’inscrit dans un hiérarchie.
Le fait de vouloir faire des basses à tout prix est une erreur ! Pour moi, le bon guitariste accompagnateur est celui qui me fait des accords simples avec une majorité de triades sans septièmes et sixtes à tout va, encore moins des neuvièmes ! Il faut qu’il ait un mouvement de main droite régulier ! Si le tempo bouge, il peut augmenter très légèrement, mais dans tous les cas cela doit suivre le soliste. Le plus difficile est de garder l’intensité, de ne pas la faire chuter ou de la faire imploser. Si on s’excite trop sur la partie B on fait chuter l’intensité de retour sur le A ! C’est ce qui me paraît le plus difficile dans une valse, en dehors de son aspect technique. L’accompagnateur doit être à l’écoute du soliste afin de savoir quelle intensité il doit mettre dans l’accompagnement ! Quelle dynamique il veut créer !
Peux tu nous parler de l’aspect technique de l’enregistrement… le choix du studio etc.
J’avais le choix entre plusieurs studios de Paris et de Bruxelles. Samy Daussat m’avait parlé de Philippe Labroue qui travaille notamment avec Rodolphe Raffalli. J’ai eu l’occasion de faire des essais chez lui. Nous avions fait des brouillons de mon disque ensemble et cela s’était très bien passé. La qualité du son me plaisait et je me sentais à l’aise chez lui. C’est quelqu’un d’une compétence assez exceptionnelle sachant se mettre au service de la musique et des musiciens. Il disparaît totalement pendant l’enregistrement et nous permet de rester dans notre « bulle ». C’est quelqu’un que je recommande.
Sur ce très beau disque tu offres une transcription pour guitare d’une œuvre classique. Cela à du poser quelques difficultés techniques.
J’ai changé la tonalité de la valse en Do # de Chopin. Je l’ai transposé en Do parce que sur certaines guitares il n’y à pas de Do# dans le suraigües et, sur les guitares où il est présent, il est trop souvent faux.
L’accordéon et la guitare se marient bien quand il s’agit des tonalités choisies, les autres morceaux ne m’ont donc pas posé de problème. En revanche j’ai beaucoup réfléchi aux doigtés. Je voulais un son traditionnel. Donc j’ai joué avec le plus de cordes à vides possibles. En acoustique les cordes à vides présentent un volume et une brillance plus importantes. C’est plus difficile de jouer en bas du manche mais les cordes claquent mieux et c’est ce que je recherchais. Dans toutes les musiques traditionnelles on utilise souvent un maximum de cordes à vides !
L’autoproduction…c’est un choix ?
J’avais le choix de démarcher les labels ou de gagner du temps et de l’énergie en produisant moi-même. C’était aussi un choix de réaliser ce disque du début à la fin sans autres contraintes que mes choix artistiques. Cela m’a permis de découvrir plein de facettes du métier que je ne connaissais pas. Quand à la diffusion…c’est une affaire en cours.
Pour conclure, il me semble, après écoute de ton disque puis cette discussion, que tu serais le musicien idéal pour animer des master classes sur l’art de la valse ! Y as tu déjà réfléchi ?
Je n’ai pas l’intention de proposer çà pour l’instant mais dés qu’une structure existante me le demandera je le ferais avec grand plaisir.
Propos recueillis en Novembre 2013