Quelle heureuse découverte que ce 5e album du discret guitariste Lollo Meier : un disque inspiré par son voyage en roulotte aux côtés de sa compagne Susan en 2010. En effet, à l’occasion du centenaire de la naissance de Django Reinhardt, le couple entreprit un véritable pèlerinage, partant de Liberchies en Belgique pour rejoindre Samois-sur-Seine avec leur cheval Thinco pour tout moteur… Comme au bon vieux temps. Ce périple donna d’ailleurs lieu à un documentaire réalisé par Daan Milius : « Lollo’s Journey ».
« Fleur manouche » s’ouvre donc au son des sabots du cheval sur l’asphalte, pour très vite faire place au pas de la pompe manouche. Lollo Meier est accompagné de Boeboe Grunholz à la guitare, Henry Schuler à la basse et André Donni à la clarinette et au saxophone ténor.
Le répertoire est constitué de standards joués ou composés par Django, de deux compositions originales et d’une chanson, le tout excellemment arrangé et servi à des tempi particulièrement bien choisis... Quel bonheur, quel plaisir d’écouter « Honeysuckle Rose », « Vette », « China Boy » swinguer tout simplement, sans mollesse ni précipitation mais avec maîtrise et décontraction. Le genre de tempo qui donne envie de taper du pied et de regarder par la fenêtre !
La participation d’André Donni apporte beaucoup à la réussite de l’album : le soufflant nous délivre un swing au phrasé particulièrement coloré et chaleureux, dans l’esprit des Coleman Hawkins, Benny Goodman ou André Ekyan.
Lollo Meier déploie quant à lui sur sa guitare un jeu très mélodique, remarquable de construction et de relief, comme finalement peu de guitaristes du style en sont capables. On pense bien sûr à Fapy Lafertin (mentor et compagnon de jeu régulier de Lollo) ou à Angelo Debarre pour la cohérence et le développement des solos, le tout exécuté avec pudeur, sans aucune agressivité ni volonté de démonstration technique. La maîtrise instrumentale du guitariste, bien réelle, ne sert jamais d’argument : aucune note ne s’échappant de la guitare de Lollo Meier semble être jouée par hasard.
Il faut souligner que son style s’inscrit sans complexes dans l’esthétique du Django des années 1936/1946. Encore faut-il le faire sonner et l’on se rend compte que, pour reprendre le célèbre slogan, « des années d’expérience feront toujours la différence »… Parmi tous les jeunes guitaristes que l’on a vu émerger ces 2 dernières années, touts virtuoses soient-ils, bien peu seraient en mesure d’improviser des chorus aussi construits et maîtrisés.
Lollo Meier et ses acolytes réussissent de surcroît à insuffler vie et fraîcheur à des standards éculés comme, au hasard, « The Sheik of Araby » « Django’s Tiger » ou « Swing 48 ».
Après 12 titres excellemment interprétés, l’album se clôt par une version du classique de Renato Carosone, « Tu Vuo Fa l’Americano » avec chant, batterie et piano. Plutôt anecdotique en regard du reste de l’album, la reprise est cependant sympathique et termine ce périple musical sur un rayon de soleil.
Notons enfin que le disque est présenté dans un pochette sobre et de bon goût, accompagné d’un livret 12 pages qu’illustrent photos couleurs et notes de voyages. A l’image de la musique, le ton y est humble et respectueux.
Car « Fleur manouche » est un album de pur swing manouche, invitant tout autant à la danse qu’à une écoute enjouée. C’est un disque réalisé avec cœur et engagement qui est assurément l’un des meilleurs du guitariste à ce jour.
Étonnamment, il cache sous son classicisme un réel supplément âme qui le fait entrer au club, plutôt fermé ces temps-ci, des albums que l’on aura plaisir à ré-écouter sans se lasser. Un vrai bonheur !
1. Thinco’s footsteps 0’10
2. The Sheik of Araby (Smith-Wheeler-Snyder) 3’30
3. Honeysuckle Rose (Fats Waller) 3’49
4. Vette (Django Reinhardt) 4’10
5. Belleville (Django Reinhardt) 2’40
6. Chicago (Fred Fisher) 3’30
7. After You’ve Gone (Henry Creamer – Turner Layton) 3’08
8. Lolito (Lollo Meier) 2’00
9. London Town (Lollo Meier) 3’20
10. Django’s Tiger (Django Reinhardt / Stéphane Grappelli) 3’03
11. Swing 48 (Django Reinhardt) 2’40
12. China Boy (Phil Boutelje – Dick Winfree) 2’43
13. I Can’t Give You Anything but Love (Dorothy Fields – Jimmy McHugh) 3’40
14. Tu Vuo Fà L’americano (Renato Carosone) 3’15
Enregistré, mixé et masterisé au studio A Recordings Stein en janvier et février 2012.