Quand on pense à Joe Pass aujourd’hui, on se souvient surtout du guitariste phénoménal jouant seul de son instrument comme Art Tatum jouait du piano : mélangeant lignes de basse, accords subtils et autres renversements hallucinants, délicates mélodies et chorus inspirés... tout ça en même temps ! Les années 70 et 80, alors qu’il était édité par Norman Granz sous le label Pablo, ont fait la part belle à cet aspect du jeu de Joe Pass et nous ont livré une série de superbes albums dans la lignées du fameux Virtuoso de 1974.
Mais il ne faudrait pas oublier pour autant le Joe Pass des années 60, rescapé des fifties embrumées de vapeurs d’opium et d’infortunes policières qui le menèrent des trottoirs à dealer de LA au portes de Synanon où il sauva son âme et sans doute aussi sa vie. Car ce Joe Pass là, en quartet et tout droit sorti de la West Coast était également un incroyable bopper capable de tout jouer et de laisser pantois un Wes Montgomery admiratif le déclarant même son guitariste préféré...!
Redécouvert en 1961 grâce aux célestes Sounds of Synanon sonnant aussi comme une renaissance, Joe Pass va alors enchainer les sessions de sideman pour le label Pacific Jazz de Dick Bock. On l’entendra ainsi au côté de musiciens aussi variés que Les Mc Cann, Gerald Wilson, Bud Shank ou Johnny Griffin, avant qu’il n’enregistre enfin, à 34 ans, son premier album en leader : Catch me (1963).
De sa rencontre avec un autre excellent guitariste, John Pisano, résultera même en 1964 un vrai chef d’œuvre : For Django. Jim Hughart tiendra la contrebasse et Colin Bailey la batterie. Si Joe Pass a été très fortement marqué par les boppers de la fin des années 40 tels Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell ou Al Haig (et sans doute aussi par leurs guitaristes : Bill de Arango, Remo Palmieri, Arvin Garrison et les autres...), il a également beaucoup écouté Charlie Christian et Django Reinhardt reste l’une de ses influences décisives. De lui, le guitariste dira : "j’étais stupéfait par les interprétations de Django des standards tel "Night & day", "Honeysuckle Rose" et "Body & soul". Je n’avais jamais entendu personne jouer comme lui, de manière si courante et moderne. C’était en 1943. Il jouait exactement de la manière dont je voulais jouer."
Définitivement plus hommage qu’imitation, For Django nous révèle un guitariste à la technique phénoménale (où se profile d’ailleurs encore l’ombre du génial manouche au travers d’une solide attaque et d’envolées nerveuses et fulgurantes ) et au jeu constamment inspiré, souvent lyrique et au swing implacable, les chorus s’enchainant les uns après les autres, sur les tous les tempos et sans jamais lasser. Mais peut être plus encore qu’un exploit guitaristique, For Django est l’album d’un quartet remarquablement cohérent (la rythmique de John Pisano n’y est pas pour rien) nous livrant sans une faute de gout une musique constamment admirable.
Un album incontournable, évidemment...
Face A :
1. Django (J. Lewis) 3’19
2. Rosetta (E. Hines) 3’10
3. Nuages (D. Reinhardt) 2’30
4. For Django (J. Pass) 3’20
5. Night & day (C. Porter) 3’43
Face B :
6. Fleur d’ennui (D. Reinhardt) 2’50
7. Insensiblement (P. Misraki) 3’10
8. Cavalerie (D. Reinhardt) 4’20
9. Manoir de mes rêves (D. Reinhardt) 3’45
10. Limehouse blues (Braham/Fuller) 2’10
Enregistré aux studios Pacific Jazz, Los Angeles (USA), les 2 septembre et probablement 18 septembre 1964.