Au sommaire :
Romane (interviewé par Guy Chauvier),
Ambassadeurs du Lindy Hop ou comment rester jeune grâce à la danse (Par Isabelle Marquis),
Piano Summit (par François Biensan),
Hommage à Dave McKenna (par Louis Mazetier)...
Editorial :
Il y a une quarantaine d’années, vous auriez prédit le retour du jazz manouche sur le devant de la scène, on vous aurait pris pour un fou. C’était inconcevable. Cette musique n’avait plus qu’une existence souterraine. Elle disparaissait irrémédiablement... C’est du moins ce que tout le monde croyait. Et tout le monde se trompait !
Sans remonter aussi loin, au moment où nous sortions le premier Jazz Classique, en juin 1998, nous étions loin d’imaginer un numéro avec sept nouveautés de jazz manouche (et je n’ai pas compté les derniers Fays ou Raffalli, pas très jazz, ou peu manouche, ni, évidemment, la réédition d’un Tchavolo vieux d’à peine huit ans). Comment en est-on arrivé là ?
Il n’y eut aucun miracle mais, depuis le milieu des années 70 [1], une accumulation de circonstances favorables, la révélation de nombreux artistes.
Pour les circonstances, nous nous contenterons ici de remarquer que ces années soixante-dix furent marquées par un phénomène qui traversa de nombreux courants musicaux : le retour à la musique acoustique. Clapton, Coryell et d’autres débranchèrent leurs guitares... Cette démarche répondait à des motivations esthétiques mais il faut aussi la mettre en relation avec les mouvements sociaux et politiques de l’époque, la montée de la pensée écologiste, les aspirations régionalistes, les revendications identitaires... Tout cela préparait le terrain au jazz manouche, à l’accordéon musette, aux musiques du monde... Le crise économique fut même, peut-être, parfois, un facteur favorable à l’engagement de formations réduites, et sans piano... Enfin, et ce fut le moment où la production et la présence du jazz manouche prirent un essor spectaculaire, le cinquantième anniversaire de la disparition de Django Reinhardt, en 2003, suscita un important battage médiatique, l’organisation de nombreux concerts et la prise de conscience chez les organisateurs qu’il y avait là un potentiel public à ne pas négliger.
En ce qui concerne les artistes apparus pendant la même période, je vais me contenter de quelques noms. Deux gamins prodiges vinrent tout d’abord nous rappeler le génie du glorieux ancêtre, Django Reinhardt : Raphaël Faÿs, puis Biréli Lagrène. Le premier eut du mal à trouver un équilibre, le second fait la formidable carrière que l’on sait. Au même moment, ces mêmes amateurs prirent connaissance de l’existence d’une scène allemande à travers les enregistrements de la série Music Deutscher Zideuner [2]
Les années 80 révélèrent deux autres guitaristes qui jouent encore aujourd’hui un rôle capital. Ils ne sont pas manouches. C’est peut-être pour cela qu’ils sont entreprenants (?). Patrick Saussois aurait pu se contenter de faire chanter sa guitare ou de diriger un des ensembles les plus emblématiques du genre, Alma Sinti, mais, en novembre 1986, il créa un magazine, Jazz Swing Journal, où la guitare manouche, l’accordéon musette trouvèrent toute leur place. Dans la foulée, il fonda le label Djaz, largement ouvert à ces musiques. De son côté, Romane, en marge lui aussi d’une carrière qui ne cessa de prendre de l’ampleur, commença, dès 1982, à se soucier de transmission en écrivant une première méthode qui fut suivie par beaucoup d’autres, en donnant des cours, en créant des écoles, en organisant des stages... Des milliers d’aspirants guitaristes apprirent avec lui à faire la pompe et improviser sur les thèmes de Django. Patrick Saussois et Romane aidèrent les musiciens manouches à trouver un public en dehors de leur communauté. Deux anthologies Djaz, publiées en 1993, “Gypsy Reunion“ et “Les enfants de Django“, furent, pour beaucoup d’amateurs, la première occasion d’entendre des musiciens comme Tchavolo Schmitt ou Dorado Schmitt. En 2000, Romane permit à Tchavolo Schmitt d’enregistrer son premier disque sous son nom, “Alors ? ... Voilà !“. Deux ans plus tard, “Swing“, un film de Tony Gatlif fit franchir à Tchavolo une marche supplémentaire vers une plus large reconnaissance. Romane fut également le principal responsable de la belle carrière française d’un remarquable guitariste manouche hollandais, Stochelo Rosenberg, en l’invitant à enregistrer avec lui, le bien nommé “Elégance“ (2000)... Ce bref panorama ne prétend pas épuiser un si vaste sujet. Il faudrait notamment faire une place à Babik Reinhardt, les enregistrements qu’il fit des compositions de son père en 1974, et la musique très personnelle qu’il joua ensuite, même si sa carrière chaotique fut malheureusement discrète.
Depuis 2003, il n’est plus possible d’ignorer le jazz manouche. Sanseverino, Thomas Dutronc, lui servent de vitrine audiovisuelle. Ses meilleurs représentants sont régulièrement invités sur les scènes de la plupart des festivals, et pas seulement en France. Le plus étonnant, sans doute, fut d’assister à l’émergence d’un grand nombre de jeunes musiciens et de constater que beaucoup d’entre eux assumaient l’héritage manouche en toute liberté, sans esprit de revival : David Reinhardt, Steeve Laffont, Adrien Moignard, Yorgui Loeffler, Richard Manetti, Rocky Gresset, Chriss Campion, Noé Reinhardt, Sébastien Giniaux... Et j’en oublie.
Guy Chauvier