Complètement inconnu par chez nous, Nicolae Gutsa est une star en Roumanie. Né en 1967 dans une famille de musiciens roms de Petrosani, ville minière au sud de la Transylvanie, il est aujourd’hui l’un des chefs de file (et également initiateur) de la musique mani. Le manele (ou turbo folk en Serbie, calga en Bulgarie, ou encore tallava en Albanie...) est un courant musical apparu au milieu des années 90 en Roumanie combinant musique traditionnelle orientale et tsigane à des musiques plus modernes de type pop et surtout électro. Très populaire et ouvertement rejetés des milieux intellectuels, les manele proposent des thèmes rappelant beaucoup le rap américain : l’argent facile, les jolies filles et le sexe (la misogynie est fréquente), l’amour des amis et la haine des ennemis, le business et la mafia, etc... Il faut absolument aller jeter un œil aux "cheap" clips de manele sur la toile : grosses voitures, gros seins, grosses chaines en or et grosses liasses de billets qui dépassent des poches... le côté ado immature dans la toute puissance rappelle inévitablement le bling-bling de certains rappeurs américains, le kitch en plus.
Heureusement pour nous, le disque dont on parle ici date d’avant cette époque : il s’agit d’une réédition d’un album datant de quinze ans, La grande voix tsigane de Roumanie, du temps où Nicolae Gutsa n’avait pas encore plongé dans les rentables manele et faisait de la belle et vraie musique avec des vrais musiciens et pas des boites à rythme. Accompagné de Marius Gheorghe à l’accordéon (touche piano, évidemment), d’Anton Trifoi au violon et de Remus Carpaci au sax pour ne citer qu’eux, Nicolae Gutsa chante en roumain ou en romanes des chansons à danser ou à écouter comme ces doinas dont la mélancolie est parfaitement traduite par la voix particulière du leader : aigüe, voilée, parfois nasillarde mais jamais agressive, elle s’accompagne de cet étonnant vibrato qu’on retrouve si souvent chez les grandes voix tsiganes et qui apporte au chant une profondeur exceptionnelle. Sa technique vocale se complète d’une capacité à inventer des onomatopées rythmiques assez uniques qui rappellent un peu le scat des jazzmen.
Nicolae Gutsa semble s’être hélas éloigné de cette musique de fête et de mariage pourtant tout aussi populaire (mais tellement plus noble) que les manele kitch et racoleurs d’aujourd’hui... Dommage.