J’avoue avoir été un peu déçu après avoir découvert le nouveau quartet de Biréli Lagrène en juin dernier au Parc Floral de Paris. Le son n’était pas très bon, Biréli ne semblait pas si l’aise sur sa Stratocaster et le quartet manquait, je trouve, de cohésion. Mais c’était le début des tournées, et Biréli a certainement dû depuis se familiariser avec son nouveau matériel et rôder son nouveau répertoire...
En revanche, l’écoute de son nouvel album est une bonne surprise. Attendu au tournant par les amateurs de jazz manouche, il avait annoncé la couleur en affichant son désir de retourner à un jazz plus électrique. Pas de révolution toutefois : le choix de la formule rythmique (guitare/B3/batterie) est un grand classique dans l’histoire de la guitare jazz (Wes Montgomery, George Benson, René Thomas, plus récemment David Reinhardt, parmi tant d’autres, y ont goûté avec enthousiasme), et si l’on découvre deux nouveaux venus (Jean-Yves Jung à l’orgue et Jean-Marc Robin à la batterie), Frank Wolf est toujours au sax.
Biréli définit laconiquement la musique de son nouvel album ainsi : "du blues avec un peu d’harmonie". Et le blues est bien là. Dès l’ouverture du premier morceau "Jay", le son saturé de la guitare électrique glisse immanquablement sur quelques blue notes sur fond de shuffle avant de retrouver l’unisson du tenor de Frank Wolf pour une reprise de thème bien amenée. Puis vient "Mouvements", peut être le morceau du disque (en tout cas celui sur lequel insiste la promo) dans un style très différent : l’éclectisme sera au rendez-vous, et l’inspiration se fait plus classique, empruntant aux sonates de Bach contrepoints et arpèges aériens. Difficile de ne pas être saisi d’extase à l’ouverture de l’éblouissant solo saturé du guitariste. "Maybe tomorrow", balade syncopée aux harmonies minimales permet à Frank Wolf quelques belles envolées modales de soprano. Biréli entre dans le vif du sujet dès les premiers contrechants (impressionnantes harmoniques !) d’"Alpha 01/10/10" et nous offre un brillant solo jeté d’une traite magistralement. Difficile de reconnaître le morceau phare de Sonny Rollins dans la longue exposition d’"Oleo" où le thème ne sera repris qu’à la fin, en clin d’œil ; Biréli joue à chorusser comme un bassiste sur une rythmique discrète mais soutenue entre les interventions percutantes et nerveuses de Frank Wolf et Jean-Yves Jung. Retour au groove et au funk chers aux années Blue Note sur "Where’s Frankie" et le très hankockien "Cap’tain Ferber" (déjà enregistré sur Just the way you are) : et voilà le pied qui se met immanquablement à battre sur 2 et 4... "Liebesleid" est une jolie chanson d’amour qui rappelle par endroits les harmonies de la "Balade irlandaise" ; le guitariste choisit d’exposer le thème avec un effet chorus très prononcé qu’on n’aime pas, mais le solo retrouve un fort joli son clair, Biréli n’hésitant pas à emprunter au jeu de mandoline sa technique de main droite. Il nous offre enfin une dernière "Ballade" très apaisée, très belle et jouée au fond du temps, retrouvant un peu le son (le fameux "binaire aérien") de Babik Reinhardt, avant de clore son album sur une autre "self-reprise" de "Place du Tertre" (qui avait définitivement conquis le public du Parc Floral), une des plus belles compositions du guitariste à mon goût. Sa version électrique est ici tout simplement irrésistible, débordante de feeling et de discernement. Dans ce contexte purement électrique (avec un son à couper le souffle), c’est décidément bien sur ce dernier registre mêlant jazz et funk, mais avec aussi quelques réminiscences de swing, qu’on sent Biréli Lagrène, guitariste d’exception mais parfois excessif, le plus pertinent : plus de bavardage, plus de superflu... il est tout simplement génial !
1. Jay 4’25
2. Mouvements 4’06
3. Maybe tomorrow 6’36
4. Alpha 01/10/10 3’40
5. Oleo 2’54
6. Where’s Frankie ? 5’44
7. Liebesleid 5’20
8. Cleve’s changes 4’36
9. Captain Ferber 5’21
10. Ballade 5’03
11. Place du Tertre 5’09