Publié en 1993, et ré-édité en janvier 2009, ce court texte (62 pages) de Marc-Edouard Nabe qui se lit d’une traite est plus une déclaration d’amour et d’admiration passionnée à la musique et au personnage légendaire de Django qu’une véritable biographie.
Admirablement écrit à la première personne, il livre avec beaucoup de sensibilité, d’intelligence et d’humour les impressions d’un auteur également guitariste de jazz fasciné par le talent et la personnalité du fantasque et génial manouche. Un fort joli texte, bien loin des sulfureuses polémiques entourant d’autres sombres écrits de son auteur...
On notera au passage que l’épilogue du petit livre a été mis en musique par Dominique Cravic et admirablement récité par Pierre Barough sur le dernier album des Primitifs du Futur, sous le titre de La dernière rumba de Django et qu’on vous a recopié ci dessous...
Et si Django était mort de chagrin ? Enveloppé dans un nuage d'oubli, l'ex-star des zazous n'a pas si bien que ça supporté une traversée du désert pour laquelle son caractère n'était pas préparé. C'est d'ailleurs en marchant comme dans un désert que Django est mort.
Il s'est retrouvé, un jour de mai 1953, tout seul à la petite gare de Bois-le Roi. Pas de taxi. Django décida de rentrer chez lui à pied. Quelques nuages se gonflaient d'orage au dessus de lui. Il marcha à travers la forêt, sa veste sur l'avant-bras. Son front suait sous le soleil. Sa main lui faisait mal, comme toujours quand il faisait lourd. Les grands arbres vacillaient à son passage. Etait-ce normal, tant d'étoiles en plein jour ?
Il arriva à Samois en nage. A la terrasse de son bistrot préféré, on le fit s'asseoir. Dans un énorme soupir flou, il commanda un café avec un nuage de lait. Son dernier geste fut de porter la tasse à son sourire, et il s'écroula sur le guéridon. On le transporta à l'hôpital de Fontainebleau.
On raconte que lorsque le médecin vint, au petit matin, constater le décès de cet homme de quarante-trois ans, mort d'une congestion cérébrale, il vit d'abord une drôle de main qui dépassait du drap et murmura : “Django...“.
Django Reinhardt est un nuage. Il est passé au dessus du monde. Bien ouaté, tout en vapeur d'amour, il flotte dans le ciel inquiet, pour toujours.
Nuage, Marc-Edouard Nabe, 72 pages, Le Dilettante, 1993
Ré édité par "Le Dilettante" en 2009.