Comme si 2016 n'avait pas été assez pénible, avec son lot de disparitions et de drames, l'on vient d'apprendre avec stupeur que le festival Django Reinhardt de Samois-sur-Seine n'aura a priori plus lieu sur l'île du berceau.
Oui, vous lisez bien : cette petite île enchanteresse, à l'atmosphère unique au monde (dixit le public, les aficionados musiciens et les artistes internationaux s'y étant produits), habitée par l'esprit de Django, qui héberge depuis 1968 le premier festival de swing manouche jamais créé va tout simplement cesser de le faire à partir de 2017.
Les inondations dramatiques de 2016 avaient stoppé net la tenue du festival, 18 jours avant les dates habituelles. Remuant ciel et terre, l'organisation et les bénévoles sont parvenus à maintenir l'évènement en le délocalisant dans la cour du château de Fontainebleau.
C'est donc la météo qui a permis finalement de satisfaire certaines vélléités de développement commercial et de délocalisation qui planaient depuis plusieurs années sur le festival Django Reinhardt. Autrement dit, le hasard fait bien les choses quand le malheur des uns fait le bonheur des autres…
Car en réalité, deux problématiques co-existent depuis longtemps.
D’un côté certaines équipes municipales de Samois-sur-Seine et une bonne partie de ses résidents qui cherchent depuis longtemps à éloigner ce festival, considéré comme une nuisance. Un afflux soudain de population, le « bruit » de la scène, le va-et-viens des autos, quelques épisodes qu’il serait malhonnête de passer sous silence : vols de guitare, vol de la caisse du festival, détournement de compteurs électriques, bagarres et même un meurtre fratricide en 2011. Un drame qui n’avait rien à voir avec le festival évidemment, mais qui a jeté un froid auprès des institutions…
Profit a donc été tiré des inondations de 2016 et de périls sécuritaires discutables pour interdire, avec l’appui du SDIS (service départemental d’incendie et de secours) et du commissariat, l’utilisation de l’île du berceau en 2017. Après 48 ans de festivals, l'ïle devient soudain inapte à accueillir du public ?.. Pourquoi était-elle ré-ouverte aux promeneurs juste après la décrue au moment de l'édition 2016 ?
Concomitamment à ces levées de boucliers institutionnelles et autochtones, le courroux du public s'abattait davantage sur l'équipe de programmation dont les choix s'écartaient incidemment du centre d'intérêt originel de ce festival : le swing manouche. Samois a toujours mélangé la tradition, le folklore et la création manouche avec le jazz au sens large. Les concerts festifs du samedi soir divisaient les festivaliers mais avaient le mérite d'amener un public plus large en nous faisant lever de nos chaises. En toute franchise, ajoutons qu'on ne peut que remercier les programmateurs d'avoir amener au public de véritables monuments de la guitare comme Paco de Lucia, Pat Martino, George Benson ou Pat Metheny...
Seulement, lorsque l'on a pu observer – plusieurs années de suite – des journées entières sur les 5 que compte l'évènement, faire abstraction totale du swing manouche sur la grande scène... On s'est dit que cela sentait le sapin. Les manouches ont fini par déserter. Djangostation, pour un temps présent dans l'équipe de programmation, avait d'ailleurs tenté de tirer la sonnette d'alarme.
S'en suivirent de nombreuses réactions (et même des pétitions) d'un public international traversant, chaque année ou presque, mers et océans pour puiser l'esprit manouche à la source. La programmation a entendu l'appel et réctifié le tir (avec cependant une tendance à inviter toujours la même sélection d'artistes proches de certains programmateurs), améliorant en parallèle les conditions d'accueil du public mais... trop tard. Le mal était fait.
Et c'est ce dernier point qui reste incompréhensible aux yeux des amateurs de swing manouche.
Dans un pays qui compte environ 600 festivals, pourquoi dénaturer le seul consacré au jazz manouche* ayant de surcroît une ampleur et une portée internationale ?
L'an dernier, une paire d'artistes pouvaient être entendus ailleurs en France deux fois de plus au courant de l'été. Le saxophoniste américain James Carter, devenu depuis peu un habitué du festival, se plaît à dire qu'il n'a retrouvé nulle part ailleurs, même aux USA, une telle ambiance : celle des jam-sessions ininterrompues, 24h/24 entre professionnels et amateurs. Imaginez un festival de rock où vous pourriez prendre un selfie, converser, boire un verre ou jouer un morceau avec Mick Jagger, Eric Clapton, Metallica, Radiohead, The Arctic Monkeys, rencontrer les luthiers qui fabriquent leur guitares, essayer ou acheter ces modèles... C'est çà, Samois-sur-Seine.
Au-delà de la délocalisation dont on sait qu’elle déçoit autant les organisateurs que les festivaliers, le public s'inquiète désormais de ne pouvoir seulement plus écouter sa musique préférée reléguée au fond, à droite, près des toilettes. Ce fut le cas lors du lancement de la première édition de la scène ouverte, en tout cas en ce qui concerne l'emplacement.
Nous espérons très sincèrement que les organisateurs sauront dissiper ces craintes et redonner à cette musique la place centrale qu'elle mérite. Une musique portée par la communauté manouche et que le monde entier nous envie.
PS : Le communiqué du festival publié hier va dans ce sens avec une ouverture dans le haut-Samois (on murmure que la scène off devrait s'étoffer encore un peu d'ici là) et une volonté de rassurer sur la mise en lumière du swing de Django mais nous précise clairement, à nouveau, que le jazz manouche sera exclu de la grande scène.
Le swing manouche n'est-il plus assez prestigieux pour figurer sur la scène principale d'un festival portant le nom de celui qui l'a inspiré ?
Depuis une dizaine d'année, de la bouche même d'un membre éminent de l'organisation, l'idée germait de proposer une grande scène à la programmation "grand public" dans un espace adequat et de recentrer le swing manouche sur l'île du berceau.
Nous ne pouvons qu'espérer que les organisateurs et les autorités compétentes aillent dans ce sens.
* Le festival Swing 41 de Salbris et le Gypsy Swing d'Angers ont disparu, il ne reste que le nouveau venu ayant débuté à Zilisheim en 2011, accueilli dorénavant à Mulhouse.
Michel Mercier