On ne peut pas dire que les canards de jazz se soient bousculés au portillon pour célébrer le centenaire de la naissance de Michel Warlop, étoile filante du jazz français ! Quant aux institutions, n’en parlons pas !
Heureusement, Pierre Guingamp, fervent admirateur du swing français et passionné par les années 30, vient réparer cette injustice avec une biographie imposante (la première à ma connaissance) de 300 pages avec index des noms propres, index des œuvres citées, bibliographie et surtout une impressionnante liste détaillée (20 pages) des séances d’enregistrement (plus de 400 !) réalisées par Warlop. Ce livre passionnant nous révèle à la fois l’homme (Warlop est un tourmenté insatisfait et fragile qui noie ses angoisses dans l’alcool) et l’artiste (le premier grand violoniste de jazz français). Se faisant, l’auteur nous donne aussi un éclairage sur les débuts du jazz en France, les replaçant dans le contexte historique dans lequel vivaient les musiciens, de l’entre deux guerres à la seconde guerre mondiale.
Quelques mots sur la trajectoire de Michel Warlop ; Reconnu dès son plus jeune âge comme ayant des qualités musicales exceptionnelles, ce fils de boulanger né à Douai en 1911, fréquente les conservatoires (Douai, Lille, Paris), accumulant toutes les distinctions. Promu à un brillant avenir de concertiste, il découvre le jazz et franchit le pas au début des années 30 ; c’est le début d’une carrière courte (13 ans) mais exceptionnelle et bien remplie.
- Dessin de Georg Pschorr
A cette époque le musicien de jazz ne pouvant vivre uniquement de cette musique, l’alimentaire est fourni notamment par l’accompagnement de chanteurs et de chanteuses ; en 34, 35, 36 les carrières de Warlop et de Django se croisent fréquemment au cours de ces séances. Fascinés l’un par l’autre ces deux musiciens exceptionnels se retrouveront sur le terrain du jazz, hélas pas assez souvent, la place étant prise, et pas par n’importe quel violoniste, Stéphane Grappelli ! On peut dire sans exagérer que les rencontres du violon de Warlop et de la guitare de Django sont de grands moments du jazz français.
Dans la préface, Jean-Luc Ponty parle ainsi de Warlop : »…une grande qualité de son, des improvisations audacieuses et des talents d’orchestrateur… ». Son jeu n’a rien à voir avec celui de Grappelli ; si ce dernier conjugue charme et élégance dans son phrasé tout en sinuosités délicates, « l’énorme technique de Warlop est mise au service d’une tension exaltée voire d’une agressivité et d’une immense détresse sur tempo lent » ; le violoniste exprime son spleen poignant sur des titres au nom très révélateur, Désespérance, Doux souvenir…des compositions étranges sur lesquelles l’illustre manouche semble très à l’aise. En 41, Michel Warlop forme son fameux septuor à cordes, une formation d’une totale originalité composée de 4 violons, 2 guitares, une basse ; il y ajoutera ensuite un huitième musicien, Pierre Spiers qui apporte à la harpe une note encore plus insolite.
A la libération, Warlop , comme pas mal de musicos, est l’objet de poursuites par les comités d’épuration (on lui reproche de s’être produit sur Radio Paris) ; interdit sur la place de Paris pendant quelques mois , il part dans le sud, Perpignan, Font Romeu, Bagnères de Luchon… mais sa santé décline ; il meurt en 47 emporté par la tuberculose à l’âge de 36 ans.
Un seul petit bémol ; on aurait aimé un peu plus de documents iconographiques que ces 4 ou 5 petites photos reproduites dans une qualité médiocre.
Editions L’Harmattan
septembre 2011
308 pages
ISBN : 978-2-296-56137-3
29,50 euros