
Elek Bacsik est aujourd’hui un peu oublié. Formidable musicien tsigane d’origine hongroise, jouant de la guitare comme du violon, de la contrebasse, du violoncelle et même du cymbalum, il eût en France son heure de gloire dans les années 60, quand il accompagnait Dizzie Gillespie, Serge Gainsbourg, Jeanne Moreau, Barbara ou Nougaro et sortait quelques rares et magnifiques albums de jazz sous son propre nom. Et puis il partit en Amérique ; continuant le métier entre jazz clubs, séances tsiganes et cachetonnage de luxe (il accompagna même Elvis Presley à Vegas...), il ne retrouvera jamais, hélas, la gloire qu’il aurait pourtant bien méritée. Aucun livre ne lui avait encore été consacré. Jusqu’à aujourd’hui.
Les secrets sont lourds, dans certaines familles. En effet, à l’âge de quarante-six ans, Balval Ekel découvre qu’elle est la fille d’Elek. Il est mort depuis longtemps, mais elle aurait pu le connaître. Elle va donc aller à sa recherche, partir sur ses traces. Elle ira à la rencontre de ce père qu’elle n’a pas connu, et qui si soudainement lui manque tellement. Mais ce n’est pas simple de suivre un jazzman tsigane toujours en mouvement. Surtout qu’aujourd’hui les témoins sont rares, loin, inaccessibles. Morts eux aussi. Sans parler des articles, quasiment inexistants ou incomplets et de l’indigence de l’iconographie. Et puis il y a les légendes aussi, qui ne manquent pas sur ce personnage dont la vie est un vrai roman...
Cette recherche, c’est toute la force et la beauté du livre. Improvisé comme un solo de jazz, il n’a sans doute pas la rigueur d’une biographie exhaustive et définitive. Il n’en a pas la prétention. Même si au fur et à mesure se dessine le portrait d’un musicien brillant dont on arrive à suivre le parcours chronologique (albums, sessions, tournées...), saisir les traits de caractères (gentillesse, générosité, spontanéité...) et les faiblesses (le jeu, l’alcool...), il subsiste au tableau de nombreuses lacunes que Balval Ekel comblera en intégrant à son récit biographique des parties romancées. Et c’’est sans doute le portrait fantasmé de ce père musicien qui rend le livre si attachant. Un livre attachant à bien des égards. D’abord parce qu’au travers de ses recherches, Balval Ekel découvre avec une touchante candeur une musique, le jazz, dont elle ignorait tout. Et puis aussi parce qu’en se découvrant un nouveau père bohémien et hongrois, Balval découvre ses origines tsiganes. Devrait-elle alors partager aujourd’hui la souffrance de ce peuple, dont l’ostracisation systématique fait écho à l’exclusion dont elle souffre au sein de sa propre famille ? L’empressement qu’a l’auteur devant chaque nouvel élément glané au cours de son enquête est bouleversant : ici, une nouvelle photo reçue dans laquelle Balval reconnaîtra en chaque trait de son père ceux de sa propre fille, là quelques mots d’un article dont l’interview hélas manquante aurait pu lui apprendre comment il pensait. Ou encore cette courte vidéo filmée en compagnie de Jeanne Moreau dans laquelle on l’entend parler... mais si peu.
La voix manque terriblement : Balval Ekel passera ainsi une nuit entière à réécouté en boucle les applaudissements de l’enregistrement public de La Javanaise, parce qu’on peut y déceler, subrepticement, à la fin, une voix très douce à l’accent slave dire "Merrrci beaucoup"... comment ne pas être touché. Car finalement, que raconte ce livre sinon l’envie qu’a une petite fille de dire à son papa qu’elle l’aime et qu’il lui manque.
RÉSUMÉ
À quarante-six ans, je découvre que je suis la fille du musicien de jazz Elek Bacsik.
Polyglotte, capable de jouer d’une dizaine d’instruments, toujours en mouvement, ce Tsigane originaire de Hongrie dont il parvient à s’échapper après la Seconde Guerre mondiale, fait une première carrière remarquée en Italie, puis en France. Aux États-Unis, il y connaît le succès puis l’oubli avant de finir ses jours dans une fosse commune.
Sa vie est un roman comme en témoigne la liste de ceux avec qui il a travaillé : Gainsbourg, Nougaro, Barbara, Higelin, Jeanne Moreau devenue chanteuse, en passant par les jazzmen Daniel Humair, Stéphane Grappelli, Michel Legrand ou des pointures américaines à commencer par Dizzie Gillespie.
Malgré tout, cette vie soulève un mystère. Comment cet homme, en dépit de son talent et après avoir côtoyé tous ces artistes, est-il parvenu à se perdre dans la nuit ? (Balval Ekel)
Quelques mots sur l’auteur…
Balval Ekel est née à l’écriture en 2009, quarante-six ans après avoir vu le jour du côté du Sud-Ouest. Elle a toujours travaillé à faire connaître les livres et leurs auteurs et a la chance d’en vivre.
Cet ouvrage est le premier signé de son nom.
ISBN : 978-2-36336-170-7
PAGES : 196
FORMAT : 200 x 145
PARUTION : 01/2015
COLLECTION : Figures
PRIX : 15 €